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Est-ce que l’émulation est légale?

Quand j’étais jeune, je connaissais des gens qui jouaient à des jeux sur émulateur. Pas moi, jamais j’oserais, mais disons que les émulateurs de Super Nintendo et de Game Boy Advance n’étaient pas rares dans mon entourage.

C’était une façon simple et surtout, gratuite, de jouer à une foule de jeux qui nous avaient échappé dans le passé, et surtout, d’accéder à des jeux quand on était des enfants sans allocation.

Mais est-ce que c’était légal au Canada? Est-ce qu’on a le droit de télécharger et de jouer à un émulateur? Et si on possède une copie de l’original?

Et si c’est illégal, à quelles sentences s’expose-t-on?

On démystifie tout ça pour vous.

Une question peu explorée

Les États-Unis ont déjà eu à trancher sur la question de l’émulation et des ROMS, et les tribunaux ont penché en faveur des éditeurs de jeux.

Récemment, le Canadien Gary Bowser (aucun lien avec Doug Bowser ou avec l’ennemi juré de Mario) a été condamné à 5 ans de prison et près de 15 millions $ en amendes par la Cour américaine pour avoir distribué des périphériques qui permettaient de jouer à des jeux piratés.

Matthew Storman, créateur du site RomUniverse, a également été condamné en 2020 à verser une indémnité à Nintendo pour avoir distribué des roms illégaux sur son site (même s’il faut l’avouer, il ne s’est pas aidé en se représentant lui-même contre l’armée d’avocats de Nintendo).

Mais au Canada, à notre connaissance, la question n’a jamais été soumise aux tribunaux. Et il ne faut pas nécessairement croire que les résultats d’un éventuel procès sur la terre du sirop d’érable aurait les mêmes résultats que chez nos voisins du sud, puisque nos lois en matière de droit d’auteur sont quelque peu différentes.

Les émulateurs sont parfois légaux…

Pour comprendre si les émulateurs sont légaux ou pas, il faut avoir une connaissance de base de ce que le droit d’auteur protège.

Comme je disais plus tôt, la question de l’émulation n’a pas été amenée devant les tribunaux canadiens, mais la cour a déjà tranché en 2017 dans le cas de Go Cyber Shopping, une entreprise qui vendait des mod chips pour permettre de jouer des jeux piratés sur une console Nintendo.

La cour fédérale a statué que l’entreprise était dans le tort, puisque les appareils qu’elle vendait servaient à contourner les mesures de protection mises en place par Nintendo.

Le Ayn Odin, une machine d’émuation exceptionnelle… entre autres

À cela, Go Cyber Shopping ont répondu que leurs produits étaient légaux, puisque les consommateurs ont le droit de modifier les appareils qu’ils achètent pour leur utilisation personnelle. C’est vrai. Vous avez le droit d’acheter une table tournante et de la modifier pour qu’elle joue des disques. Mais vous n’avez pas le droit de vendre la modification pour qu’elle serve à pirater des jeux, et c’est là que Nintendo a gagné.

Parce que ce qui est protégé, au fond, c’est le code. Un émulateur, s’il ne copie pas le code de la console, peut être légal en soit. Vous pouvez également développer des homebrews qui sont techniquement compatibles avec une console, et les tester sur un émulateur qui reproduit le fonctionnement de la dite console, en autant que vous n’utilisiez pas de code qui vous appartient pas.

Mais si la question des émulateurs se retrouvait devant les tribunaux canadiens, jugeraient-ils que les émulateurs constituent une utilisation juste ou la seraient-ils plutôt d’avis que quoiqu’en disent les développeurs d’émulateurs, on sait très bien qu’ils sont avant tout utilisés pour le piratage?

Impossible à savoir.

Et comme si ce n’était pas assez, nous sommes au Québec dans une situation de bijuridisme; nous avons au Québec le droit civil, en plus de la Common Law canadienne. Les jugements au Québec et au Canada pourraient donc être différents!

Les roms commerciaux, eux, sont (généralement) illégaux

La question est un peu plus claire quand il est question des ROMs de jeux. Si c’est un jeu commercial, c’est très probablement illégal de le télécharger… même si la compagnie qui a publié le jeu n’existe plus, parce que les droits sont souvent vendus à des tiers lors d’une faillite.

Prenez par exemple Bomberman, qui appartenait à Hudson Soft. Hudson n’existe peut-être plus aujourd’hui, mais ça ne veut pas dire que vous avez le droit de vendre des jeux de Bomberman pour autant; la franchise appartient maintenant à Konami.

Le problème, c’est que le code du jeu ne vous appartient pas. Vous n’avez donc pas le droit de le distribuer ou de vous le procurer illégalement. C’est la même chose que pour un film, un album de musique ou un livre.

Mais les jeux vidéo sont différents des albums de musique, par exemple. Si je veux réécouter le premier album que je me suis acheté, Emmène-moi d’Allan Theo (laissez-moi tranquille), je n’ai pas besoin de dépoussiérer un lecteur de cassettes; je peux faire jouer un disque dans ma console, ou mieux encore, ouvrir Youtube ou Spotify et écouter l’album en entier, instantanément.

Mais si je veux jouer à Little Samson au NES de façon légale, je vais devoir me trouver un NES, trouver une façon de brancher ça sur ma télé moderne, et me trouver une copie fonctionnelle du jeu, ce qui me coûtera… 3400$.

Un jeu qui vaut son pesant d’or

What the F-Zero.

Et pour le moment, il n’y a pas vraiment de solution à ça. Le titre n’est pas disponible ailleurs. Taito ne l’a pas rendu disponible sur Nintendo Switch Online, ni dans une compilation de jeux rétro.

Probablement qu’ils ne vous poursuivront pas si vous décidez de pirater une copie du jeu. Mais ça ne veut pas dire que c’est légal pour autant.

Mais si j’ai une copie du jeu?

Disons que vous avez une grande collection de jeux de Gameboy, et que vous avez envie d’y jouer pendant vos vacances, mais vous n’avez pas envie de trainer un sac à dos plein de cartouches grises sur la plage.

Pouvez-vous en extraire les ROMs pour y jouer sur votre téléphone?

Encore une fois, la réponse c’est peut-être. Les tribunaux ne se sont jamais saisi de la question.

Mais si vous ne les distribuez pas, on peut croire que ça serait légal. Après tout, vous pouvez bien copier un disque de musique pour vous en faire une copie personnelle, ou filmer votre télévision pendant que vous faites jouer un DVD et regarder le vidéo plus tard (mais pourquoi faire ça?).

Ceci étant dit, on parle de se faire une copie soi-même, avec un appareil qui extrait les ROMs d’une cartouche. Si vous téléchargez un ROM d’un site d’émulation, même si vous possédez l’original, c’est probablement illégal.

Bref, en émulation, tout est une question de peut-être. Nous reste à espérer qu’un jour on trouve une solution satisfaisante pour tous, autant pour les éditeurs de jeux que pour les joueurs qui craignent de voir des pans de l’histoire vidéoludique disparaître.

Un texte de Pier-Luc Ouellet de Jeux.ca