(CHRONIQUE)
Si vous suivez Élisabeth Rioux sur ses plateformes, que vous êtes moindrement présent.e sur les réseaux sociaux depuis le début de la semaine ou que vous écoutez LCN ou la radio, vous connaissez probablement déjà plusieurs détails de l’histoire que j’aborderai ici. Pour les autres, ce qu’il faut savoir, c’est qu’Élisabeth Rioux a dénoncé la violence dont elle aurait été victime de la part de son ex-conjoint et père de son enfant, Bryan McCormick, via ses stories Instagram. Elle avait précédemment annoncé leur rupture sur cette plateforme en précisant qu’elle et lui n’avaient plus de contact, mais en précisant à de nombreuses reprises qu’elle ne voulait pas en dire davantage pour protéger sa fille, notamment.
Puis, suite à une « blague » d’infidélité partagée par son ex sur ce même réseau social, elle a tenu à remettre les pendules à l’heure en mentionnant d’abord qu’elle ne lui avait jamais été infidèle, avouant dans la même phrase que la raison de leur rupture était plutôt la violence de son ex. Elle a suivi le tout avec la publication d’une photo de son cou et de son menton sur lesquels on voyait de nombreux bleus qu’elle attribuait alors à la violence subie par son ex, pendant que ce dernier niait le tout sur son propre compte Instagram. L’histoire continue et des personnes proches d’Élisabeth ont partagé ce qu’elles savent de la situation… puis les médias traditionnels se sont emparés de l’histoire.
Mardi, Geneviève Petterson a consacré sa chronique sur LCN à cette affaire, ou plutôt, elle a choisi d’éviter l’enjeu pertinent de la violence conjugale pour détourner le tout vers le concept d’ «extimité»; le fait de partager publiquement des aspects de la vie qui relèvent habituellement du domaine privé. Elle et l’animatrice Julie Marcoux ont alors tenu des propos qui, en plus de ridiculiser Élisabeth Rioux, semblaient vouloir discréditer sa dénonciation.
« Elisabeth Rioux, c’est un phénomène […] elle a 1,7 million d’abonnés sur Instagram, 250 000 abonnés sur sa chaîne YouTube et c’est vraiment une personne qui est devenue populaire avec sa chaîne de maillots et, j’ai envie de dire, ses fesses, puisqu’on les voit à l’écran », a notamment dit Geneviève Petterson en introduction de sa chronique. Elle a aussi ajouté avoir « eu un malaise » en voyant qu’Élisabeth avait précédemment partagé une vidéo de son accouchement. Pour sa part, l’animatrice Julie Marcoux a complètement diminué la situation en disant que « le quotidien [d’Élisabeth Rioux] devient de plus en plus troublant ces jours-ci ».
Mais en quoi la nature des contenus partagés sur les réseaux sociaux est pertinente lorsqu’il est question d’une dénonciation de violence conjugale? En couvrant la situation ainsi via LCN, Julie Marcoux et Geneviève Petterson ont laissé entendre que cette dénonciation n’était qu’un des nombreux aspects de la vie privée d’Élisabeth Rioux qui sont partagés via Instagram, diminuant du même coup l’importance de cette dénonciation et du sujet de la violence conjugale qui fait de très nombreuses victimes chaque année au Québec.
La photographe, féministe et activiste Julie Artacho apporte un point essentiel: tout le discours dans les médias traditionnels concernant la récente dénonciation d’Élisabeth Rioux semble motivé par un mépris à l’égard des réseaux sociaux et de toutes les personnes qui ont réussi à s’y faire une place ou même à les utiliser pour en faire carrière et monter un véritable empire.
C’est le cas d’Élisabeth Rioux, qui est influenceure, mais aussi entrepreneure et qui est derrière les collections de sous-vêtements et de maillots de bain Hoaka. Toutefois, à LCN, la seule mention de ses entreprises est faite pour rappeler qu’elle « montre ses fesses » sur Instagram. En quoi est-ce pertinent de mentionner la nature de ses photos puis de suivre avec la diffusion d’un vidéo de son accouchement lorsqu’il devrait être question de la violence conjugale qu’elle a dénoncée? Je me le demande encore. Et je ne suis pas la seule.
Comment, en tant qu’humain, en tant que journalistes, peut-on détourner le discours ainsi d’un sujet extrêmement important (la violence conjugale) vers un sujet absolument impertinent (juger la façon dont une femme utilise les réseaux sociaux)? Dans quel monde est-ce que ces journalistes ont l’impression de faire leur part pour l’humanité, pour le gros bon sens, pour la sensibilisation aux violences que vivent les femmes? Comment ne voient-elles pas qu’elles participent au problème?
Dans ses stories sur Instagram, la militante Alice Paquet aborde pour sa part la notion de misogynie internalisée pour expliquer le comportement des deux journalistes qui semblent avoir tenté par tous les moyens de ridiculiser Élisabeth Rioux et de délégitimer sa dénonciation. En vivant dans une société patriarcale, bien malgré nous, nous intériorisons des croyances et des comportements qui font violence aux femmes, même en étant une femme. De la même manière que les hommes intériorisent des comportements de masculinité toxique (les « vrais » hommes ne pleurent pas et n’ont pas d’émotions, ils doivent être forts, impassibles, ils ne peuvent pas être vulnérables ou aimer les activités « de filles » et lorsqu’ils le font, ils s’attirent des commentaires désagréables, des reproches ou des moqueries), les femmes intériorisent des comportements qui les poussent à juger et à shamer les autres femmes.
C’est en effet exactement ce qu’a fait Geneviève Petterson dans son discours à LCN. Par la suite, en voyant les nombreuses réactions à sa chronique, la chroniqueuse a réagi via ses stories Instagram en s’excusant: « Je suis vraiment catastrophée de voir ce qui se passe, car je suis féministe […] Vraiment mes excuses à Elisabeth Rioux parce que mon intention c’était vraiment tout le contraire de vouloir shamer une victime de violence conjugale. » Julie Marcoux a aussi partagé des excuses sur Instagram. Petterson a ajouté que ses propos ont été mal compris, parce que la chronique a été écourtée, et qu’elle continue d’aborder la situation dans son émission de radio, qu’elle nous invite à écouter.
Dans l’émission en question, l’intervention de Myriam Day Asselin, coordonnatrice expertise et innovation chez Tel-jeunes/LigneParents est pertinente, mais Geneviève Petterson reproche encore à Élisabeth Rioux un manque de « pudeur » dans ses publications. Dans sa chronique radio à l’émission de Dutrizac, elle traîne encore la même conversation impertinente en parsemant le tout de remarques de bodyshaming à l’égard d’Élisabeth en plus de rire du nom de sa fille. Pour les excuses sincères, on repassera?
C’est d’ailleurs ce que la principale intéressée, Élisabeth Rioux, a mentionné dans ses stories en écoutant la chronique.
Dans toute cette histoire, c’est absolument révoltant de penser qu’alors qu’une femme prend son courage à deux mains pour dénoncer la violence dont elle aurait été victime, son témoignage est accueilli par des personnes – ici des personnes avec une tribune importante – qui préfèrent le détourner pour juger ses comportements et ses décisions et s’en moquer ouvertement et gratuitement.
Combien de fois faudra-t-il répéter que les comportements des femmes ne sont pas la cause des violences qu’elles subissent? Les violences sont causées par les agresseurs; seulement les agresseurs, et personne d’autre!
On souhaite sincèrement à Élisabeth Rioux d’obtenir l’aide et le soutien dont elle a besoin et que sa dénonciation sera prise au sérieux par les personnes qui peuvent vraiment faire une différence.