Ce sera la dixième cette année. Dix fêtes des Pères sans mon papa. Neuf ans se sont écoulés depuis que la maladie nous l’a arraché.
Ça avait commencé tout doucement. Ça a évolué sur des années, des années qu’il a passées à ignorer les symptômes. Il a fallu que la douleur s’en mêle et qu’elle devienne intenable. Il pouvait bien avoir mal : quand il a fini par consulter, sa hanche était tellement rongée qu’elle était sur le point de casser. C’est ce que ça lui prenait, à lui qui ne s’arrêtait jamais, pour enfin peser sur les freins.
Je me souviens encore de l’appel reçu le soir où les médecins ont prononcé le mot « cancer ». Je lui ai demandé comment il prenait ça. Il ne savait pas. Lui qui savait tout, avait toujours tout su d’aussi loin que je me souvienne, il ne savait plus. Il n’a plus rien su par la suite non plus.
Les médecins avaient été clairs : il n’y aurait pas de rémission. Il ne l’a jamais accepté. L’injustice était trop criante. Il n’était toujours pas prêt à s’arrêter. Ce n’était pas naturel pour lui. Il aimait se lever aux aurores pour travailler, prendre un verre avec ses chums au bistro du coin, remonter des voitures accidentées, me battre outrageusement au crible. Des petites choses, de toutes petites choses. Rien de déraisonnable. Mais pourtant.
Il n’a jamais fêté ses 55 ans.
Il n’a jamais vu ma première maison. Il n’a jamais connu mes enfants. Il ne m’a jamais vu finir mon dernier programme d’études. Il n’était pas là quand j’ai décroché l’emploi que je voulais.
«J’aimais ça, te regarder aller », qu’il m’a dit, un soir de révolte contre cette chose devant laquelle nous étions tous impuissants. À l’époque, je n’avais pas d’enfant. J’avais bien une idée de ce qu’il voulait dire, mais c’est maintenant que je suis maman que je le mesure vraiment. Parce que moi aussi, j’aime ça, regarder aller Bout d’Chou et Coco, et l’idée de perdre cette possibilité alors qu’ils ont encore tant de choses à accomplir me donne envie de crier. Je ne suis pas prête à m’arrêter non plus. L’est-on jamais?
Il y a neuf ans, la fête des Pères a perdu son sens pour moi. C’est devenu une journée comme les autres. Elle ne me rend pas triste ou nostalgique. Les messages d’amour destinés à tous les papas du monde que je vois autour me moi me laissent de glace. Je ne me sens pas concernée. Je n’ai plus de papa.
Mais il y a cinq ans, je suis devenue maman. Chez nous, c’est maintenant mon chum, le papa au centre de la journée de la fête des Pères. J’essaie donc de redonner un peu d’importance à cette journée. J’essaie de rendre ça excitant pour les enfants et de leur faire prendre conscience de la chance qu’ils ont d’avoir un papa extraordinaire. Mais ça ne me vient pas naturellement. Je continue de ne pas me sentir concernée.
Mais je continue de déployer des efforts. Je n’ai plus de papa, mais Coco et Bout d’Chou, oui. Ça finira bien par être naturel. Un jour. Non?