(CHRONIQUE)
Le surlendemain de la mort de mon papa, j’étais assis sur une chaise inconfortable, avec ma tante et mon frère, au centre funéraire. On nous posait des questions, on nous offrait des mouchoirs. On nous aidait ensuite à faire un choix dans la liste des forfaits disponibles.
Nous répondions à tout. Il fallait confirmer la date de naissance de notre père, la date du décès, jaser de sa couleur préférée et de la possibilité d’avoir un chanteur à rabais sur place lors de la cérémonie. Je n’ai jamais été témoin d’un silence plus sourd que ceux étalés tout au long de cette discussion. Dans ce bureau à l’odeur de vanille chimique et devant chaque question souriante, nos réponses étaient courtes et sèches. Nous avions perdu notre père et la seule chose à laquelle j’étais capable de penser, c’était « qu’allons-nous devenir?».
Nous avons ensuite visité une grande chambre avec des décorations pour la cérémonie, des cercueils et des urnes. Tout était disposé du plus petit au plus grand, du moins cher au plus cher. La spécialiste grimaçait en nous présentant des articles fragiles en pin ou en carton, des urnes simples en bois, des choses laides et sans goût. Puis, la dame souriait et s’exprimait avec enthousiasme devant les prodigieuses décorations des cercueils en cèdre, vernis, brillants. Il y avait des urnes en marbre, des possibilités de pierres tombales extravagantes.
« À la hauteur de votre amour pour votre père ». J’aurais cassé quelque chose, je pense, si elle avait insisté. À la hauteur de mon amour pour mon père.
Les dernières volontés de notre papa étaient claires: il ne voulait pas être exposé, il voulait qu’on ne débourse que le strict minimum et il voulait être incinéré. Après son décès, j’ai senti que le monde entier faisait pression contre ses dernières décisions, comme si sa vie avait été rendue et que nous pouvions maintenant en disposer comme bon nous semblait.
Il n’a pas été exposé. Il y a eu une petite cérémonie de rien, et un gentil monsieur avec le trémolo de Mario Pelchat a chanté trois chansons. Mon frère et moi, on s’est retenus pour ne pas rire. Notre père devait rire, là où il était.
Après les obsèques, je n’ai pas été capable de mettre l’urne de mon père en terre. J’étais paralysé. Il voulait être enterré aux côtés des siens, au cimetière Côte-des-Neiges. Je pense qu’une fois la terre creusée par une pelletée, j’étais figé de voir le sol ouvert à notre famille de morts, à ma grand-mère et mon grand-frère.
J’avais un fou rire incontrôlable, le plus grand de toute ma vie. Mon petit frère ne pouvait même pas me regarder dans les yeux. Je criais de rire, comme si on m’avait raconté la meilleure blague de tous les temps. Tout me semblait ridicule, alors que nous nous affairions depuis des jours à faire nos adieux à mon père qui était déjà loin. Nous nous accrochions à ses cendres jusqu’au dernier moment et plus rien ne faisait du sens, pour moi.
Je me suis secoué quand mon oncle a pris le relais. C’est lui qui a pris la pelle, qui a creusé le trou, puis déposé les cendres de mon père doucement au fond. Il y avait une telle tendresse et un tel respect dans ce geste, je ne crois pas avoir remercié mon oncle assez pour ça. C’était émouvant de l’entendre dire : au revoir, mon chum. Je me rappelle de son bras musclé, tendu vers le fond, délicat et rassurant.
Merci Robert, mon oncle d’amour, clone de Louis de Funès.
Onze ans sans Papa, aujourd’hui. Le plus difficile pour moi a été d’être père à mon tour. J’aurais aimé l’avoir à mes côtés pendant ma jeune paternité. J’aurais voulu l’entendre dire que je faisais bien ma job ou que j’étais cabochon par bouts. Je le voudrais encore là pour me ramasser quand je m’effondre, pour me prendre en charge comme un bébé quand j’en ai besoin.
Onze ans plus tard, je suis de plus en plus paisible. Mes pieds se déposent sur ses traces et en repensant à ces funérailles, je me sens étrangement proche de lui. J’aurais les mêmes volontés, je pense. Je voudrais juste que mes enfants ne se demandent pas à leur tour « ce qu’ils vont devenir ».
D’où je serai, je ne déteste pas l’idée qu’ils riront quand un chanteur au trémolo nerveux viendra me rendre hommage.