(CHRONIQUE)
Je vais me rappeler toute ma vie de cet après-midi. C’était la fin du mois de juillet, le ciel était d’un bleu doux, la brise était fraîche et contrastait avec la chaleur du soleil. Il n’y avait pas de nuage à l’horizon ni de bruit à l’extérieur malgré les fenêtres ouvertes. Nous étions vêtues de la même façon, une robe d’été blanche à motif floral. Comme si nous nous étions téléphoné pour agencer nos looks; peut-être était-ce un signe de l’univers. Elle s’est assisse sur mon divan et j’étais assise tout près d’elle, en train de bercer ma petite merveille endormie.
Elle s’est confiée, comme elle le fait à chacune de nos rencontres. Elle sentait que son rêve de devenir mère s’effritait, qu’il lui glissait entre les doigts. Le chemin facile qu’elle croyait prendre pour devenir mère se transformait en une longue marche avec beaucoup de déceptions. Elle me parlait de ses craintes, de sa peur que son corps refuse de porter la vie.
Elle pensait que c’était de sa faute, ou de celle de son amoureux; elle ressentait le besoin de pointer du doigt tout le monde. Elle veut seulement devenir mère. Elle a toujours su qu’elle voulait l’être.
Sans même glisser un mot à son amoureux, elle avait déjà décidé de la suite des choses. Elle ne voulait pas trop d’attente, elle ne voulait pas non plus passer par dix mille chemins; il n’y aurait pas d’adoption. Elle avait décidé qu’elle voulait une mère porteuse pour lui donner ce qu’elle veut le plus et depuis si longtemps. Elle avait déjà entamé ses recherches sur la marche à suivre, elle savait ce qu’elle voulait.
Elle m’a mentionné ne pas vouloir d’une inconnue; mais plutôt que ce soit une personne chère à ses yeux. J’ai eu un drôle de sentiment. J’ai tourné la tête pour ne pas la regarder, car ce n’était pas la première fois qu’elle menait la discussion vers ce sujet, sans nécessairement insister. Elle m’a dit vouloir que ce soir sa soeur, puis dans un murmure qui m’a semblé si fort, a ajouté « ou toi ».
Je me suis empressée de la regarder, j’ai fait comme si de rien n’était et je lui ai demandé si elle croyait que sa soeur accepterait. En fait, j’espérais qu’elle croie que je ne l’avais pas entendue. J’ai enchaîné la conversation en ne laissant pas de place au silence. J’ai tourné la conversation vers ses craintes, je lui ai parlé de tout ce qu’il est possible de faire; consulter, aller en clinique de fertilité, pousser les recherches sur le pourquoi du comment. Je ne suis pas médecin, elle non plus, nous ne sommes pas équipées pour répondre à toutes les questions et encore moins pour diagnostiquer la raison pour laquelle elle ne tombe pas enceinte.
En réalité, avant ce moment, je pressentais que ça viendrait sur le sujet. Elle avait abordé le sujet quelques fois, mais n’avait cependant jamais dit qu’elle aimerait que ce soit moi, la mère porteuse. Mais je le savais, je le sentais, je la connais. Je devais simplement la laisser trouver le courage d’aborder directement la question, sauf que… J’ai flanché. Je me sentais accotée au pied du mur. Je ne voulais pas et je n’étais finalement pas prête à avoir cette discussion avec elle. J’ai été lâche, car je voulais connaître une partie de ma réponse avant qu’elle aborde le sujet, pour que nous puissions avoir une vraie discussion sans que je ne lui impose tout ce qui me passe par la tête.
Je la connais, elle reviendra sur le sujet, tôt ou tard. J’y ai donc beaucoup pensé dans les derniers mois; ma décision n’est pas encore tout à fait prise non plus. Je me sens extrêmement choyée; c’est une preuve de grande confiance et beaucoup d’amour de me demander de porter son enfant. C’est une chose magnifique de se le faire demander et à faire. C’est un don de soi. Malheureusement, je dois mettre de côté toute la beauté de la chose pour prendre une décision éclairée.
Je ne suis pas seule dans la vie; j’ai un amoureux et déjà des enfants. Notre famille n’est pas complète. Ce sont des facteurs à prendre en considération. Mon corps m’appartient, je peux lui faire ce que je veux, mais je dois penser à ceux qui m’accompagneront sur ce chemin. Mon amoureux devra traverser mes sautes d’humeur, ma fatigue, mon corps qui change pour un enfant qui n’est pas le sien, pour un enfant qui ne reviendra pas avec moi après l’accouchement. C’est notre intimité qui sera aussi bouleversée. C’est aussi lui qui devra prendre notre famille sur ses épaules pour les journées où je ne serai pas moi, celles où je ne pourrai pas m’occuper des enfants ou jouer avec eux. C’est lui qui devra s’occuper des enfants pendant que je suis à l’hôpital et quand je reviendrai à la maison avec un corps à guérir.
Quand est-il de mes enfants? Ils seront en âge d’assimiler certaines choses, de comprendre que Maman a un bébé dans le ventre, mais que ce n’est pas votre frère ou votre sœur. Que devrais-je leur dire, comment leur expliquer?
Notre famille n’est pas complète non plus. Quand dois-je placer cet enfant dans nos plans de vie, avant ou après? C’est une chose horrible à dire, mais je le place où, cet enfant, sur mon calendrier familial? D’autres questionnements se suivent aussi, car nous sommes deux familles impliquées. Est-ce qu’ils voudront avoir une fratrie pour cet enfant? Présentement, ils hésitent entre avoir un ou deux enfants. Devrais-je porter le deuxième? Est-ce qu’ils les voudront rapprochés?
Je me questionne sur leur couple, mais je m’en veux aussi de me questionner sur leurs éventuelles habiletés parentales. Si je mets un enfant au monde pour eux, pourront-ils bien s’en occuper? Est-ce que cet enfant ne manquera de rien? Est-ce que ce bébé apportera de la tension entre eux? Vous pouvez me juger d’avoir de telles pensées envers quelqu’un qui me fait confiance pour porter son enfant, mais même si je sais que ce n’est pas mon enfant à proprement parler, je vais toujours avoir une inquiétude pour lui, comme j’ai avec mes propres enfants. Je sais qu’il ne manquera pas d’amour, mais la vie ne se résume pas qu’à aimer son enfant pour que tout aille pour le mieux.
Je me questionne sur moi. Je suis une maman couveuse, j’ai porté mes enfants en flattant ma bedaine, en leur chantant des chansons. Je leur parlais de tout et de rien, de ce qui les attendait à l’extérieur. Saurais-je faire la différence entre la maman que je suis et la femme qui est la maison d’un enfant à naître? Quelle place aurai-je dans sa vie? J’ai peur de ne pas pouvoir faire une séparation et d’essayer d’avoir une plus grosse place dans sa vie que celle que je dois prendre. J’ai peur de me blesser.
Il y a beaucoup d’incertitudes, de remises en question et de sentiments mitigés dans cette situation. Je n’ai même pas énuméré tous les facteurs qui influencent ma décision, car la liste est trop longue. Ce n’est que la pointe de l’iceberg. Je sais que le chemin sera long avant d’avoir une réponse. Je sais toutefois que je ne flancherai pas la prochaine fois, je suis prête à avoir cette discussion avec elle.
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