Le nom de Thomas Jolly est sur toutes les lèvres depuis la présentation de la cérémonie de lancement des Jeux olympiques de Paris (regardée, selon Radio-Canada, en après-midi et en soirée, par 13,3 millions de Canadiens, dont une moyenne de 1 024 000 personnes sur ICI TÉLÉ, et 184 000 sur RDS).
Lady Gaga en mode french cancan, la prestation de Gojira, la parade de drag queens, Philippe Katerine s’exhibant d’un banquet nu et peint en bleu, Céline Dion et L’hymne à l’amour dans la tour Eiffel, et autres fantaisies visuelles éclatées liées à mille référents culturels: ce sont les idées du créateur de 42 ans, directeur artistique des cérémonies d’ouverture et de clôture (11 août) des Jeux olympiques actuellement en cours, nouvel enfant prodige des scènes françaises («scènes», et non La Cène, que d’aucuns semblent chérir outrageusement depuis quelques jours!).
Plus tôt cette année, nous avions eu la chance de nous entretenir avec Thomas Jolly, en vue du passage imminent dans la province de la nouvelle mouture de la comédie musicale Starmania, dont il est le metteur en scène.
Le jour J approche: c’est le mercredi 7 août, à la Place Bell de Laval, qu’aura lieu la grande première de la relecture de l’immortelle œuvre de Luc Plamondon et Michel Berger, qui se promène depuis 2022 dans une partie de la Francophonie (France, Belgique, Suisse et le Québec).
Quelques artistes québécois, dont William Cloutier, Gabrielle Lapointe, David Latulippe et Miriam Baghdassarian, font partie de la distribution, qui a été encensée à plus d’une reprise depuis presque deux ans et plus de 250 représentations devant plus d’un million de spectateurs.
«Je n’étais pas né quand Starmania a été créé, nous expliquait Thomas Jolly. Un beau jour de mars 2019, j’étais directeur d’un théâtre à Angers [dans l’ouest de la France, NDLR]. Et j’ai reçu un appel du producteur Thierry Suc, qui me demandait si j’étais disponible pour dîner avec Luc Plamondon et les ayants droit de Michel Berger. Et là….! (rires)»
Retour aux sources
Jolly est auréolé de gloire sur les planches françaises, ayant orchestré plusieurs productions d’envergure (dont Henry VI, de Shakespeare, qu’il a revisitée en formule de… 18 heures). Cet homme de théâtre et d’opéra n’avait jamais assisté à une comédie musicale avant qu’on ne lui propose de prendre les rênes de ce Starmania revampé pour son 40e anniversaire (qui devait originalement prendre l’affiche en 2021et fut repoussé à 2022 à cause de la pandémie).
Il avait bien, jeune, déjà lorgné l’album Starmania dans la discothèque de ses parents, puis pris connaissance de son contenu quelques années plus tard, mais ce n’est qu’en s’attelant à la tâche de monter la pièce qu’il s’y est véritablement plongé, a visionné les vidéos de toutes les versions (notamment celles, plébiscitées chez nous, de 1980 et 1993), pour constater combien l’univers de Starmania fut évolutif, selon les directeurs qui lui donnaient corps. Jolly a demandé à Luc Plamondon d’ouvrir ses tiroirs, de lui fournir les livrets de toutes les existences de Starmania (parfois rédigés à la machine à écrire!), de lui en expliquer la genèse, et Raphaël Hamburger, le fils de Michel Berger, lui a refilé les bandes originales, sur lesquelles on entendait l’auteur-compositeur-interprète chercher des mélodies dans ses studios.
On sait que plusieurs interprètes d’ici (Diane Dufresne, Martine St-Clair, France Castel, Marie-Denise Pelletier, Bruno Pelletier, Luce Dufault, Isabelle Boulay, etc.) ont figuré dans l’une ou l’autre des éditions de Starmania, où, dans un État imaginaire aux accents futuristes, des protagonistes colorés luttent de pouvoir pour atteindre la célébrité, notamment à travers une fausse émission de télé justement intitulée Starmania (oui, comme Star Académie et La Voix!) Plusieurs de ses chansons sont passées à l’histoire : Le Blues du businessman, Ziggy (Un garçon pas comme les autres), Besoin d’amour, SOS d’un terrien en détresse, Monopolis, Le monde est stone et de nombreuses autres.
«Tout de suite, je me suis dit qu’il fallait revenir aux origines de Starmania. L’œuvre n’avait pas eu de mise en scène depuis 1993. Et en 30 ans, l’actualité a été riche, violente, a dépassé la fiction. On était la première version depuis l’an 2000, depuis le 11 septembre. La fin de Starmania, c’est la plus haute tour de l’Occident qui s’écroule à cause d’un attentat terroriste…»
«On a remis des personnages qui avaient disparu, on a clarifié la narration, parce que certaines choses étaient un peu obscures dans les successions d’événements. J’ai demandé à Luc de retravailler certains éléments par rapport à l’an 2000; en 2024, on ne peut plus dire que, quand viendra l’an 2000, on aura 40 ans! Ça ne fonctionne plus. On a ainsi travaillé, main dans la main, avec Luc Plamondon. Ce qui fut très beau à constater dès les premières représentations, c’est que les gens qui connaissaient Starmania l’ont redécouvert avec l’écart depuis 1993, et les autres y ont vu l’incroyable modernité, le caractère très visionnaire, voire prophétique, de l’œuvre.»
Thomas Jolly décrit le Starmania nouveau comme un «retour aux sources», tant esthétiquement que musicalement, qu’il a voulu très onirique, où les forces obscures (dépression, mélancolie, nostalgie, quête de sens) de la trame Starmania-esque se juxtaposent à la force de la lumière que recherchent tous les protagonistes.
«Par la politique, le cinéma, la musique, la danse, la télévision… Et, à trop vouloir s’approcher de la lumière, exactement comme dans le mythe d’Icare, on se brûle…!», dépeint Jolly, qui n’hésite pas à affirmer que Starmania touche aux «très, très grands objets culturels» de notre époque, et «presque à la tragédie antique, d’une certaine manière».
«Sénèque et Shakespeare parlent encore de nous, et on continue à les jouer. Starmania n’a que 45 ans, elle est toute petite par rapport à Roméo et Juliette, mais elle continue de parler de nous… Qu’elle soit pop, classique, française, étrangère, c’est l’écho qu’on trouve dans le présent qui fait la beauté et la puissance d’une œuvre.»
S’unir et faire l’humanité
Au moment de notre rencontre, Thomas Jolly ne pouvait évidemment rien révéler de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, sinon que le rendez-vous d’inauguration serait hors stade, déployé dans la ville, sur la Seine, sur six kilomètres, et que les athlètes défileraient sur bateaux, avec Paris et ses monuments comme décor.
«C’est quand même plutôt chic!», sifflait-il, le regard brillant.
Or, si l’art poursuit comme objectif de susciter émotions et réactions, on peut aujourd’hui statuer que Thomas Jolly peut crier bien haut et fort: mission accomplie!
«Les Jeux olympiques, c’est entre 1,5 et 2 milliards de personnes qui regardent la même chose au même moment. C’est puissant, ce n’est pas croyable! D’une puissance politique, aussi, très grande…»
«C’est l’histoire du pays qui se raconte, c’est un moment où il faut redire ce qu’est la France. Paris est une ville qui s’est construite, en permanence, avec sa relation aux autres. Toute son histoire le dit. Avec les autres cultures, les autres pays. À un moment où tout le monde revient sur lui-même, sur sa nationalité et son identité, il faut dire qu’il n’y a pas une identité fixe de la France. C’est une identité mouvante, poreuse, qui ne cesse de se construire et de se déconstruire dans un grand récit, toujours en écho, en vibration avec le reste du monde. C’est porteur de solutions pour l’avenir que nous devons traverser ensemble, parce que nous sommes tous et toutes vivants et vivantes au même endroit, sur la planète que nous partageons en même temps. On a beau avoir tous les discours politiques qu’on entend aujourd’hui, on ne peut pas nier cette réalité», ajoutait-il.
«Ensemble, on fait de grandes choses. Le repli ne peut pas être une finalité. Je ne crois pas à un monde où les pays se replient sur eux-mêmes. Parce que nous sommes tous connectés, reliés par nos histoires. Le climat politique est difficile et différent d’un pays à l’autre, mais au moment où tout le monde regarde la même chose, c’est là qu’il faut se dire que nous sommes ensemble, et qu’il faut réussir à faire l’humanité.»
Starmania tiendra l’affiche à la Place Bell de Laval du 6 au 18 août.