Catégories
Jeux / e-Sports

Quand la syndicalisation de l’industrie du jeu vidéo devient source de licenciement

 

Le 3 octobre dernier, on apprenait que Ustwo games, le studio britannique lauréat de plusieurs prix et derrière les jeux Monument Valley et Assemble with Care, avait congédié un de ses programmeurs séniors après l’avoir interrogé sur ses activités syndicales. De plus, le studio lui avait refusé toute représentation syndicale lors de ses rencontres disciplinaires. Ustwo fait maintenant face à de potentielles actions légales. 

En effet, à la fin septembre, Austin Kelmore, membre fondateur du Game Workers Unite, ramification de l’association syndicale Independent Workers Union of Great Britain (IWGB), est informé qu’il est licencié. Son congédiement survient quelques semaines après qu’il ait invité des employés de Ustwo à une rencontre pour discuter des droits du travail et qu’il ait été questionné, par un cadre, sur ses activités syndicales. 

Kelmore était l’un des trois programmeurs principaux sur le nouveau jeu du studio, Assemble with Care dont la sortie était anticipée sur Apple Arcade. Le jeu a été complété peu de temps avant son licenciement. 

Les répercussions d’un tel licenciement

Le congédiement d’un employé basé sur ses activités syndicales contrevient à la loi de 1992 sur les syndicats et les relations de travail. De plus, Ustwo a également dérogé à la loi de 1999 sur les relations de travail en ayant refusé à Austin une représentation syndicale lors de sa rencontre disciplinaire menant à son licenciement. 

Le département des ressources humaines du studio avait déjà critiqué les activités syndicales du programmeur. En effet, Ustwo lui reprochait de vouloir générer un changement positif au sein du studio, notamment au niveau des conditions de travail et de la diversité. La compagnie insistait être un studio basé sur la collectivité plutôt que sur le clivage entre la direction et les employés sous-entendant que les efforts de Kelmore étaient injustifiés. 

Ustwo games s’est défendu d’avoir mis à pied leur employé en raison de sa partisanerie au mouvement syndical. Le studio mentionne, effectivement, que d’autres de leurs employés sont affiliés au Game Workers Unite. Néanmoins, l’IWGB accuse le studio de victimisation d’un militant syndical. Ainsi, l’organisation demande à ce que le studio revienne sur sa décision, faute de quoi ils entameront des démarches légales. 

Le mouvement syndical dans l’industrie du jeu vidéo

Le cas d’Austin Kelmore soulève la question du mouvement syndical au sein de l’industrie du jeu vidéo. En effet, les conditions de travail, parfois intenses, de l’industrie du jeu vidéo encouragent la mise en place d’un mouvement qui milite pour la syndicalisation et la protection de ses employés. Mais, quelles sont ces conditions de travail auxquelles se heurtent les travailleurs et travailleuses de l’industrie vidéoludique? Il y a notamment la constante fluctuation du nombre d’effectifs dans les compagnies de jeux et les nombreuses heures de travail demandées aux employés pour ne nommer que celles-ci. 

Des congédiements de façon cyclique

Il semble, en effet, que de nombreuses mises à pied touchent les travailleurs et travailleuses de l’industrie. Cela se produit régulièrement et dans diverses compagnies de jeu. Bien que le secteur des jeux vidéo soit une industrie florissante, les studios réduisent bien souvent le nombre de leurs effectifs.

On se souvient du cas de Telltale Games, connu notamment pour les jeux The Walking Dead, qui, l’année passée, a soudainement congédié la majorité de ses employés avant de fermer ses portes. Également, l’éditeur Activision Blizzard, qui a produit entre autres Call of Duty et Overwatch, annonçait, en décembre dernier, le licenciement de 8 % ses effectifs, soit environ 800 employés.

Les raisons principales derrière ces mises à pied spontanées sont, généralement, la fin d’un projet. Le jeu est soit complété et disponible au public, soit il annulé en cours de production. On parle donc de licenciements cycliques puisque les compagnies engagent une grande main-d’?uvre pour le développement d’un jeu et la laisse partir une fois le jeu complété. 

Des heures de travail excessives

En plus de l’incertitude à conserver un emploi, les travailleurs et travailleuses font face à des heures excessives de travail. De plus, il n’est pas rare de demander aux employés de travailler davantage à la fin d’un projet pour mener à terme un jeu avant sa sortie. Ces heures supplémentaires nécessaires dans les dernières étapes de réalisation d’un jeu sont appelées crunch time.

Ces périodes, lors desquelles les heures de travail peuvent s’élever à 60 heures par semaine, sont devenues la norme dans l’industrie. En effet, elles sont bien souvent obligatoires dans chaque studio de jeu. De plus, aucune compensation n’est offerte pour ces heures supplémentaires outre le succès du jeu. Les périodes de crunch amènent bien souvent les travailleurs et travailleuses à quitter l’industrie vidéoludique et à s’établir dans d’autres secteurs. L’effectif dans l’industrie vidéoludique est fortement mouvant, si bien que dès lors qu’une personne y travaille pendant plus de cinq années, elle est considérée comme un vétéran. 

Des conditions encore plus difficiles pour les femmes

Les femmes travaillant dans l’industrie vidéoludique sont encore plus à même d’être aux prises avec des conditions de travail extrêmes puisqu’elles évoluent dans un environnement majoritairement masculin. En effet, peu de femmes sont présentes dans l’industrie vidéoludique. Selon un rapport de l’International Game Developers Association (IGDA), en 2017, 21 % de la main-d’?uvre était composée de femmes et 74 %, d’hommes. Mais, les femmes se retrouvent généralement dans des postes liés aux ressources humaines et à l’administration, les pourcentages allant en diminuant lorsque l’on parle de postes liés directement à la production des jeux. Au Québec, en 2016, 16 % de femmes travaillaient dans l’industrie et seulement de 5 % à 10 % dans les métiers liés à la production. Toutefois, un effort se fait de plus en plus sentir pour encourager la présence des femmes dans l’industrie.

Il demeure que ces femmes travaillant dans l’industrie font face à un environnement qui peut être sexiste. À un point où elles vivent parfois du harcèlement. Entre autres, ces femmes vivent de la discrimination basée sur leur genre, se heurtent à des commentaires sexistes, ne sont pas considérées pour des promotions, etc. On peut penser notamment au cas de Riot Games, le studio derrière League of Legends. En effet, le studio a fait l’objet d’une enquête de Kotaku qui a mis en lumière la culture sexiste et de harcèlement qui régnait au sein de cette entreprise. À la suite de quoi, le directeur des opérations de Riot Games, Scott Gelb, a été suspendu pendant deux semaines. La compagnie avait reçu plusieurs plaintes de son comportement inapproprié autant auprès des femmes que des hommes employés par Riot Games

Exploiter la passion des travailleurs et travailleuses de l’industrie

Ces conditions de travail intenses sont justifiées par la passion qu’ont les travailleurs et travailleuses de l’industrie envers les jeux vidéo. En effet, la plupart sont avant tout des joueurs et joueuses, fans de jeux vidéo et dont la ferveur pour cette source de divertissement les a amenés à établir leur carrière. Ainsi, sur la base de cette passion, les travailleurs et travailleuses, qui désirent poursuivre une carrière dans l’industrie vidéoludique, sont prêts à accepter des conditions de travail plus intenses, en se disant qu’ils font ce qu’ils aiment. Bien évidemment, cette mentalité fait l’affaire de l’industrie qui profite justement de la passion de ses employés pour ne pas changer ces conditions de travail. 

La syndicalisation, une solution?

Toutefois, en réponse à ces problématiques liées à l’emploi, un mouvement syndical prend place peu à peu au sein de l’industrie vidéoludique. Au Canada, l’International Game Workers Unite rassemble de plus en plus de membres alors qu’au Royaume-Uni, la Game Workers Unite (GWU) a réussi à syndiquer les employés des studios de jeux. La GWU compte maintenant 19 sous-divisions en Amérique du Nord.

Aux problèmes des heures de travail excessives, de l’absence de compensations ou d’avantages, de contrats injustes et d’environnements de travail parfois toxiques, le mouvement syndical propose de réguler les heures, négocier des indemnités, se battre pour des clauses d’arbitrage et mettre en place de meilleures conditions de travail. 

Pour l’instant, rien n’est encore acquis, mais il s’agit qu’une compagnie se syndique pour peut-être entraîner une vague déferlante et faire en sorte que les syndicats de travailleurs et travailleuses de l’industrie du jeu vidéo soient une norme et ainsi, améliorer leurs conditions et en faire un environnement de travail plus sain et sécuritaire.