Sauvage, de François Bellefeuille: Assagi, mais toujours un peu extraterrestre

François Bellefeuille est encore en beau fusil dans son troisième et nouveau spectacle, Sauvage, et c’est aussi désopilant que dans ses deux premiers one man shows (éponyme, en 2014, et Le plus fort au monde, 2018).
Le populaire humoriste a ouvert le bal de la saison d’humour 2025-2026, à l’Olympia de Montréal, mardi, fort des 50 000 billets déjà écoulés de Sauvage. Si les soirs de premières à venir de ses collègues sont tout aussi réussis, ça rira joyeusement au Québec dans les prochains mois.
Il est peut-être un peu plus posé que jadis, remarquez. C’est normal, après tout, de gueuler moins fort en vieillissant.
Son personnage de scène n’est plus le drôle d’ermite de ses débuts, et s’assume plus que jamais ancré dans le quotidien, le couple, les enfants, le médecin de famille et… le bidet.

Il a encore le cheveu hirsute… quoique plus facilement domptable qu’autrefois.
Planète voisine
Cela dit, on est quand même à mille lieues, dans Sauvage, du style un peu mièvre et gentil de Temps de chien, la comédie que signe Bellefeuille à Radio-Canada. Force est d’admettre que l’artiste avance et vieillit en sagesse et en équilibre, même dans son absurdité, en cultivant soigneusement sa singularité.
Ses salutations de bienvenue? «J’ai failli rester chez nous!». C’est qu’il en a ras-le-bol, voyez-vous, qu’on le confonde avec le Doc Mailloux (décédé en 2024, rappelons-le).
Bellefeuille saute du coq-à-l’âne comme le font plusieurs autres, mais dans une fluidité telle, compte tenu du décalage (dans le sens de déjanté) de son propos, qu’on se demande encore sur quelle planète voisine de la nôtre il séjourne régulièrement, sans y résider en permanence.
«J’ai failli rester chez nous!»
On passe de son voisin ornithologue (connu) à son fameux bidet, de son «cell» qui l’observe à la communication non-violente, toujours avec sa touche un tantinet extraterrestre. Extraterrestre qui paierait toujours ses impôts à temps, disons.
François Bellefeuille, c’est celui qui demande des cataractes à sa conjointe pour Noël. Qui, sur un post-it collé sur le réfrigérateur, intime celle-ci de ne pas toucher à ses fromages, plutôt que de lui signer des mots doux.

Est-il le seul homme à avoir tenté d’observer son périnée avec son téléphone? Probablement pas. Il est sûrement le seul, toutefois, à avoir envisagé cette partie du corps du point de vue d’une souris. Ne posez pas de questions et allez le voir en salle, c’est plus sûr.
Femme et enfants
Mine de rien, l’ancien vétérinaire revisite à peu près tous les codes convenus de l’humour québécois, à sa façon bien à lui. Parler de leur blonde, ils le font tous, mais du regard un peu zigoto de Bellefeuille, c’est presque neuf.
Sa vision des chicanes d’amoureux et de l’éducation des mioches est particulièrement enlevante. Faut le faire!
Sa moitié et lui ne se querellent que pour des «petites affaires», jamais des grosses. Pensez fréquence d’éternuements ou de passage de la soie dentaire, par exemple.
Côté bambins, ce sont les talents de son fils au soccer et, davantage grinçant encore, ceux de sa fille à la gymnastique, qu’il compare à ceux d’un chat, que Bellefeuille met de l’avant. Attendez d’entendre quelle personnalité sportive il a vu trotter comme un cheval dans pareil contexte.
Un petit cocaïnomane de deux ans, à qui tu dois de l’argent.
Jeunes parents, sachez-le, d’après François Bellefeuille, éduquer un tout-petit, c’est comme élever «un petit cocaïnomane de deux ans, à qui tu dois de l’argent». À cet âge, son héritière a traversé une grave crise de possession, qui l’incitait à déclarer que tous les objets lui appartenaient dans la maison. «J’avais l’impression de vivre avec un petit monsieur de deux pieds qui se divorce!» Le (plus ou moins) fier papa a fini par décréter que c’était assez quand la fillette a apposé son sceau d’exclusivité sur l’auto. Y’a des limites, tout de même…
Et tout ce joyeux délire de banlieue culmine avec… Xavier Dolan et La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé.
Sauvage, c’est du François Bellefeuille tempéré, un peu plus mature, quelques décibels plus bas, toujours à deux ou trois pas de la track de la normalité et du premier degré. Un François Bellefeuille plus terre-à-terre qui donne l’impression de se farcir le métro-boulot-dodo, et qui s’en défoule ensuite en le passant dans son filtreur délirant, flyé, sagement décapant, jamais bien méchant.
C’est parfois scato, ça vole à l’occasion moins haut. Mais, à presque chaque punch, on se dit qu’il fallait y penser. Somme toute, Bellefeuille injecte beaucoup d’huile de bras dans ses textes, visiblement longuement sculptés.
Pas de fioritures ni d’écrans, cette fois (on se souvient de ses analyses de dessins d’enfance particulièrement hilarantes dans Le plus fort au monde); que du vécu réinterprété. Notre hôte se tient généralement statique devant son éclair de bande dessinée en guise de décor, misant essentiellement sur ses mots pour dérider un public vendu d’avance.
Certes, arrivé à la troisième tournée, l’effet de surprise et de nouveauté n’est plus présent comme aux premières années. Le défi était grand, pour François Bellefeuille, de se réinventer avec Sauvage. Et il y parvient, sans édulcorer ce qu’il a été et sans viser dans la direction opposée.
Faudra surveiller Douaa Kachache
En première partie de Sauvage, la sympathique Douaa Kachache s’amuse avec ses origines.
En discourant sur ses 30 ans au Québec, ses 30 ans de célibat et son éducation un brin rigide, loin des hommes, sous l’œil bienveillant de son papa, l’ex-enseignante devenue humoriste exploite avec aplomb son bagout, son intelligence et son aptitude innée pour le stand up. Ça promet pour la suite.
La tournée Sauvage de François Bellefeuille fera le tour du Québec dans la prochaine année. Consultez son site Web (francoisbellefeuille.com) pour les détails.