Un collègue, récemment entré en fonction, a été arrêté dans la nuit de mercredi à jeudi dernier à 200 km de son domicile, caché dans les buissons chez son ex. Il lui avait envoyé plus d’une centaine de textos au cours des jours précédents et l’avait aussi menacée de mort et harcelée chez elle et à son travail depuis leur rupture, qu’il n’acceptait visiblement pas.
J’imagine qu’il serait entré au travail jeudi matin, comme d’habitude, comme d’autres fois, s’il n’avait pas été attrapé.
Ce collègue travaillait à deux pas de mon bureau. Il m’avait aussi offert le manteau de sa conjointe (ou son ex…?) il y a quelques mois, disant qu’il ne lui faisait plus.
Au bureau, on a découvert ça vendredi midi. Ça n’a pas été long avant que les gars trouvent le moyen de plaisanter avec ça… et comme je travaille surtout avec des hommes, ça a fait boule de neige.
Parmi les « bonnes » blagues, me demander s’il m’avait offert le manteau parce que je ressemble à son ex est ressortie en premier. Entre deux éclats de rire, on m’a aussi recommandé de ne pas porter ledit manteau dans les prochains jours, au cas où. Ok.
On a par la suite suggéré que mon chum, que mes collègues connaissent et aiment bien écoeurer, n’était peut-être pas le père du bébé dont je suis présentement enceinte, me sal*pant ainsi au passage: le tromper avec un harceleur violent, en plein mon genre, bonne joke les gars.
Après, les plaisanteries se sont multipliées sur le ridicule d’être appréhendé dans un bosquet, ça a spéculé à savoir s’il avait l’engin sorti quand les policiers sont arrivés, etc.
J’avoue que le gars était vraiment étrange, on était nombreux à l’avoir déjà remarqué et à avoir fait quelques commentaires.
Mais qu’il soit allé jusque-là? Clairement, aucun des joyeux plaisantins que j’ai entendus vendredi n’a réfléchi sincèrement à la réalité des gestes en question. À la réalité de l’ex, celle qui a appelé la police mercredi dernier, en pleine nuit, parce qu’elle avait peur de son ex-conjoint.
La peur provoquée par un homme: un conjoint violent, un père colérique, une date qui a mal tournée ou un étranger tard le soir dans la rue. Je suis persuadée que la vaste majorité des femmes a déjà ressenti l’inconfort de se savoir vulnérable, pas en sécurité, peut-être même en danger.
Apprendre qu’un collègue bizarre, mais apparemment fonctionnel, harcelait et menaçait son ex de mort, c’est f*ckin perturbant.
Quand j’entends mes collègues masculins plaisanter là-dessus, j’entends seulement à quel point c’est acquis pour eux de se sentir en sûreté. À quel point les menaces à leur sécurité, leur intégrité et leur paix d’esprit sont rares.
Pas qu’ils sont insensibles, pas nécessairement. Seulement, ça ne leur dit rien à eux, la réalité de la peur, de la méfiance, du frisson glacé qui remonte l’échine en croisant un regard inquiétant ou en regrettant certains gestes.
C’est de « l’émotivité », de « l’exagération ». Et ils peuvent plaisanter là-dessus, parce que ça détend l’atmosphère et qu’il ne faudrait surtout pas devoir prendre au sérieux une réalité extrêmement courante, celle de la peur que vivent les femmes à cause de comportements masculins violents, même « légèrement » (euh quoi?!). Ça serait lourd, tsé.
Et là, c’est moi qui suis lourde. On peut pu rire asteur icitte…!
Parce qu’eux ne sont pas comme ça, voilà. Mais pourquoi ne pas en profiter pour pointer du doigt la violence ordinaire et sa banalisation? Pourquoi ne pas prendre position ouvertement face à leurs « chums » quand ils vont trop loin? Au lieu de juste en faire des « jokes »…
**Oui, la violence peut aussi toucher les hommes. Oui, certains hommes sont plus conscientisés et sensibles que d’autres. Ce texte fait toutefois état de ma propre situation et de mon vécu en tant que femme.**