Chroniqueur automobile depuis plusieurs décennies, Denis Duquet se remémore le passé et nous en raconte quelques épisodes.
À une certaine époque, Jackie Stewart, le légendaire pilote de Formule 1 d’origine écossaise, était le porte-parole de la compagnie Ford. En effet, dans certaines campagnes publicitaires et dans le cadre des lancements de nouveaux modèles, il était sollicité par ce constructeur. C’était tout un événement de pouvoir le rencontrer, lui parler et discuter entre autres d’automobiles en général et de Ford en particulier. Et même s’il était sous contrat avec ce constructeur américain, il ne se gênait pas pour donner sa franche opinion.
Et il a toujours aimé discuter de tout et de rien avec les journalistes et les invités. En plus de son accent écossais, il avait un sens de l’humour passablement développé et la combinaison des deux était souvent hilarante.
Cet intéressant personnage ne rechignait pas de prendre place en tant que copilote lors du dévoilement de certains modèles. En général, on mettait les noms des journalistes dans un bocal et un tirage au sort désignait celle ou celui qui allait conduire la voiture en compagnie de cet illustre pilote automobile. Parmi les heureux élus, l’un d’entre eux a voulu impressionner Monsieur Stewart en conduisant de façon très agressive dans la circulation urbaine. Ce n’était pas une bonne idée. Ce journaliste, ayant le pied droit plus pesant que son jugement, s’est amusé à zigzaguer dans la circulation de Detroit et à rouler nettement au-dessus des limites de vitesse affichées pour tenter de montrer à son prestigieux passager qu’il avait tout un coup de volant. Mal lui en prit. En effet, Stewart lui a demandé de s’immobiliser sur le côté de la route et il a laissé notre matamore en plan pour se rendre en taxi au centre d’essais de Romeo en banlieue de la ville de l’automobile. Imaginez l’allure de notre essayeur lorsqu’il qui est arrivé à la piste d’essai sans son passager. En arrivant en taxi, qu’il a fait payer au journaliste fautif, Jackie Stewart l’a traité d’idiot, d’imbécile et du plus mauvais conducteur qu’il avait eu l’occasion de fréquenter.
Stewart au volant d’une Tyrrell Ford en 1971. Année de son second championnat du monde.
Quelques minutes après, une fois que Jackie se soit « dépompé », c’était à mon tour de prendre le volant en sa compagnie. Inutile de préciser que j’étais quelque peu nerveux de voir ma conduite examinée de près par un triple champion du monde de Formule 1. Cette fois, notre balade ne s’est pas effectuée en ville, mais sur l’une des pistes d’essai de ce centre technique. En ville, je me serais contenté de rouler en suivant la circulation et les limites de vitesse. Sur ce parcours tortueux rempli de traquenards, je devais m’appliquer non seulement à conduire de façon harmonieuse, mais tout en poussant la voiture quelque peu. Les choses se sont bien déroulées sur la majorité du parcours et nos discussions portaient sur tout et rien à la fois. Tout allait bien. Puis, à l’entrée d’un virage, j’ai été piégé et la voiture s’est mise en travers. Situation particulièrement embarrassante. Heureusement pour moi, Stewart se mit à rire en soulignant pour me déculpabiliser qu’il s’était trouvé dans la même situation deux jours auparavant alors qu’il faisait des essais au volant de la même voiture. Ouf ! J’étais soulagé. Par la même occasion, il m’a conseillé de ne pas trop serrer le volant et de regarder loin devant moi afin de pouvoir mieux pressentir les virages et avoir un meilleur contrôle de la voiture.
En tous les cas, lorsqu’il a quitté la voiture une fois notre essai terminé, il affichait un large sourire. Je me suis imaginé que c’était parce qu’il avait apprécié ma conduite. En fait, je n’ai jamais osé lui demander ce qu’il pensait de mon coup de volant. J’aime mieux me bercer d’illusions.
Par contre, au cours de la même journée, j’ai doublé Jackie sur une piste d’essai. Mais ce n’était pas nécessairement parce que je roulais à fond de train. Jackie roulait à la vitesse d’une tortue, car il tentait d’obtenir la plus faible consommation de carburant au volant de l’Escort, dévoilée le jour même en première mondiale. Malgré les circonstances, je peux toujours me vanter de l’avoir doublé en piste sans faire état des circonstances.