Ce texte nous a été envoyé par une lectrice.
Vous avez aussi une histoire à partager? Écrivez-nous au info@tplmag.com
Plusieurs semaines ont passés déjà depuis lundi 2 mars 2020. C’était près de deux semaines avant le confinement. Confinement qui a duré près de 3 mois avant les premiers signes de déconfinement graduel. Trois mois où j’aurais eu besoin de ma famille, de mes amies, de sortir boire, d’aller au spa… Un moment où j’avais besoin de me sentir vivante. J’étais prise avec moi-même, la gestion du télétravail, un chum qui a un emploi dans un service essentiel et un bébé de 14-15-16 mois à la maison. J’imagine que le temps va effacer ces images, ces douleurs et ces souvenirs créés cette journée du 2 mars dernier. Alors, pendant que les souvenirs y sont toujours, je me suis dit que de prendre le temps de mettre les mots sur papier, ça aiderait sûrement à mettre un baume sur cette petite cicatrice.
Lundi matin, 2 mars. 6h30 am
Les doux sons des gazouillis/syllabes/mots qui ne sont pas des mots de mon petit de 14 mois nous réveillent. Mon chum va le voir. Je me réveille tranquillement et reste couchée dans notre petit cocon. J’ai mal au ventre. J’ai des petites crampes de « Ah, je vais être menstruée ». Comme si à mon agenda, c’était mon alarme qui m’annonçait l’événement « Tes menstruations vont commencer ». Mais à mon agenda, le seul événement qu’il y avait, c’était celui de mon échographie de 12 semaines et 5 jours, planifié pour le lendemain matin, mardi le 3 mars 2020 à 8h00. Alors, vous faites 1 + 1 j’imagine.
Je me lève et je vais à la salle de bain. Je saigne un peu, juste un tout petit peu. En fait, juste quand je m’essuie après avoir fait pipi. Donc, rien d’inquiétant. Puisque c’est ma deuxième grossesse, je connais les signes que je dois surveiller. Je ne remplis pas de serviette hygiénique en 1 heure. J’en parle avec mon chum, il s’inquiète un peu et me dit qu’on devrait laisser un message vocal à notre sage femme de suivi, juste pour être certain que tout est okay. Je ne considère pas que c’est une urgence. De petits maux de ventre et à peine de sang. Je laisse donc un message vocal. Je prends mes choses et quitte pour aller au travail.
Mon chum reste à la maison, avec bébé parce que bébé a une pneumonie et papa la grippe. La vraie. Testé positif à l’influenza. Arrivée au travail, il est 8h15. La sage femme me rappelle vers 9h00. Elle m’explique qu’elle préfère que j’aille à l’urgence voir un.e gynécologue puisque même si mon échographie est le lendemain matin, celle-ci sera faite par un.e technicien.ne. J’ai toujours des crampes qui ne passent pas, mais rien de plus. Je dis donc à ma sage femme que je compte aller à l’urgence vers l’heure du dîner.
9h45, je suis toujours au bureau et je sens que je dois aller aux toilettes, qu’il y a quelque chose qui descend. Je perds un caillot dans la toilette. C’est mon signal d’alarme. Je comprends que je suis certainement en train de faire une fausse couche, que je perds le bébé. J’essaye de rationaliser la situation en me disant que si je fais une fausse couche, il n’y a rien qu’ils.elles puissent faire à l’urgence pour malheureusement arrêter le travail. Sûrement un super mécanisme de défense, parce que si je tombais dans l’émotion à ce moment-là, je ne serais pas capable de me relever.
Je prends mon sac à dos et mon laptop, en me disant que j’allais pouvoir répondre à des courriels et faire des suivis dans la salle d’attente. J’ai trop souvent entendu des histoires d’horreur de fausses couches dans les toilettes de la salle d’attente des urgences. Alors, j’ai pensé que j’attendrais longtemps. Je conduis. Je suis seule. Une collègue m’a offert de m’accompagner. Je préférais être seule. Comme ça, si je n’arrivais pas à être forte, personne ne le verrait.
Alors, je conduis. Je suis seule. J’appelle une de mes soeurs pour qu’elle me rejoigne. Je décide d’aller à l’hôpital le plus près de ma maison, même si ce n’est pas le plus près de mon travail. Why? Je ne sais pas. Je décide d’aller à l’hôpital Sacré-Coeur.
Je roule sur le boulevard Gouin et les larmes coulent silencieusement sur mes joues. Je sens que je perds du sang, beaucoup, mais je n’ai aucune idée d’à quel point. Je pose ma main proche de mes jambes et j’ai du sang sur ma main. 10h15, j’arrive à l’urgence où il y a environ une vingtaine de places de stationnements. Une voiture devant moi entre et prend la dernière place. Je reste là. Je suis figée devant la barre blanche qui m’offrait un ticket de stationnement. L’homme qui a choisi la dernière place regarde son cellulaire.
Je le regarde. J’attends. Je me dis, peut-être me verra-t-il? Peut-être verra-t-il la détresse dans mes yeux. Il lève la tête dans ma direction. Il me regarde et fait signe de reculer, qu’il ne reste plus de place. Je pleure. Je me dis, je vais aller stationner dans une petite rue, malgré la complexité de trouver un stationnement à Montréal.
Je décide d’aller dans le stationnement central de l’hôpital. Je me dis qu’en arrivant par l’entrée principale, il y aura certainement des agents de sécurité et je pourrai demander de l’aide. Je ne trouve pas de place. Je tourne en rond. Je saigne. Je pleure. Je suis en train de perdre mon bébé. Ma soeur m’appelle. J’ai à peine le temps de lui dire de passer chez moi, que j’aurai besoin d’une serviette et des vêtements de rechange, que je trouve enfin une place pour ma voiture. Je sais que dès le moment où je me lèverai, je ne pourrai plus me rasseoir. Je prends une grande respiration.
J’ouvre la porte, je sors de la voiture. Je sens que tout coule et tombe dans mes pantalons. Il y a une flaque de sang à côté de la voiture et sur le banc. C’était une douche de sang. Je me demande si j’enlève mes pantalons dans le stationnement, drette là. Pour enlever tout ce que j’ai sur moi. Je pleure et je ne sais pas quoi faire. Il y a des gens qui passent. Mais c’est tellement une image forte, et il y a tellement de sang, que j’essaye de ne pas attirer l’attention.
Je prends sur moi, prends mon sac à dos et mon laptop (très important pour continuer à travailler) et je marche pour me diriger à l’urgence. Je marche en pingouin et je pleure. Pas en silence. Je pleure comme une petite gamine perdue. Il y a beaucoup de monde et aucun agent de sécurité à l’entrée. Personne ne me demande si je suis correcte. Après avoir longuement (dans ce contexte) marché pour trouver l’urgence, je vois des indications sur une porte. Je dois descendre un étage par les escaliers et continuer dans un long corridor et j’y serai.
Il y a beaucoup de gens dans la salle d’attente générale de l’urgence et environ 4 personnes sur les bancs rouges qui attendent pour le triage. Je vais à l’ordinateur prendre mon numéro, toujours en pleurant. Un homme vient me voir, réalise l’état dans lequel je suis et met fait entrer immédiatement dans une cabine de triage. J’ai eu le temps de dire « Je ne peux pas m’asseoir, je suis enceinte de 12 semaines et 4 jours et je fais une fausse couche. C’est dans mon pantalon » et l’infirmière a pris le téléphone, m’a amenée dans une salle d’examen et le médecin était déjà présent pour me prendre en charge. J’y ai perdu ma veste, mes pantalons, mes sous-vêtements et mes bottes. Tout était irrécupérable.
Voilà. On peut s’imaginer la suite. J’avais perdu le foetus, mon bébé. Il n’y avait plus rien dans mon ventre. « C’est la vie, ce sont des choses qui arrivent »; le genre de phrases que des gens nous disent pour nous consoler. Ehlala. Mes enfants n’auront jamais 20 mois de différence, comme on avait pensé…
Mais bon, je me réconforte quand je vois mon petit bonhomme, ce petit et si bel humain. Je ne suis pas seule. Mais dans un contexte de confinement, j’aurais eu besoin de sortir après avoir vécu ça. Plus que jamais. Je me serais « gelée » à voir du monde et en m’occupant. La réalité, c’est qu’au cours des derniers mois, je n’ai pour seuls amis que mon fils et mon chum et pour m’occuper, que ma famille, mon 35h de télétravail, une routine, 4 murs et beaucoup d’émotions sur les épaules.
À toutes ces femmes qui ont vécu une fausse couche, à 5 ou 16 semaines, je vous envoie tout mon amour.
Ce texte nous a été envoyé par une lectrice.
Vous avez aussi une histoire à partager? Écrivez-nous au info@tplmag.com