Personne  n’atteint à la perfection et personne ne s’en approche. Mais cela  fait-il de nous de mauvais parents ? On entend souvent cette  lamentation: « Il n’y a plus de bons parents… » C’est faux. Je suis  entrée en contact avec des milliers de parents partout au pays, et je  peux affirmer que la grande majorité d’entre eux élèvent leurs enfants  du mieux qu’ils le peuvent. Voilà qui est amplement suffisant.
Vous  croyez que votre voisine (encore elle !) est une bien meilleure mère  que vous ? Dites-vous qu’elle pense la même chose de vous ! Idéaliser  votre voisin, votre collègue de bureau ou votre épicier ne vous aidera  pas à mieux équilibrer votre vie de parent en emploi.
Si vous continuez à vous précipiter sur The Joys of Much Too Much : Go for the Big Life,  le best-seller signé par l’Américaine Bonnie Fuller, rédactrice en chef  d’American Media Inc., c’est qu’un petit retour s’impose : relisez ce  que j’ai écrit dans le dernier numéro sur le sentiment de culpabilité.  Dans la vie de tous les jours, Bonnie Fuller a peut-être les moyens de  s’offrir de l’aide durant ses pérégrinations internationales, mais ça ne  fait pas d’elle une meilleure mère que vous. Être parent est l’aventure  d’une vie.
Comme  tout voyage d’exploration, la parentalité est faite d’essais et  d’erreurs, de tentatives qui aboutissent et d’autres pas, de succès et  d’échecs. C’est la chose la plus difficile qui soit. Et aucun diplôme ne  peut nous y préparer, c’est bien connu. Dans l’essai Le Bébé et l’eau du bain,  la journaliste Nathalie Collard suggère des cours de parentalité aux  futurs parents : quelle aberration ! L’aptitude à être parent ne se  développe que d’une façon : par la pratique, à chaque heure de chaque  jour.
Il  s’agit de bien cerner son objectif : vouloir un enfant ou vouloir avoir  un enfant. « Vouloir avoir un enfant » relève d’un désir de possession,  d’un fantasme sans ancrage dans la réalité. « Vouloir un enfant », par  contre, c’est être prêt à l’élever, le consoler, le guider, c’est lui  transmettre non seulement son sang, mais ses valeurs et aspirations.
Faire  tout son possible en matière de parentage, c’est déjà beaucoup. Ça peut  passer par la façon de parler à ses petits. Pour ma part, quand je fais  quelque chose avec mes enfants, je ne crains pas l’exagération, les  superlatifs : « On va te mettre ta belle robe… on va faire un super beau  gâteau… on va passer une journée magnifique… »
Avez-vous  remarqué à quel point on est porté à utiliser des termes comme  catastrophe, drame, fin du monde ? Pourquoi ne pas mettre l’accent sur  des moments heureux en en embellissant la description ? Pourquoi ne pas  présenter une activité routinière comme un cadeau que nous fait la vie ?  Comme l’illustre le film de Roberto Benigni, La vie est belle,  la perception d’une situation, même la plus laide qui soit, dépend de  la façon dont on en parle. Je suis convaincue qu’on peut insuffler de la  magie au simple fait de se brosser les dents.
Chez  nous, nous avons un support à épices magiques : j’ai vidé mes pots  d’origan et de persil pour y placer de petites sucreries qu’on utilise  normalement pour décorer des gâteaux. Je m’en sers comme de la poudre de  perlimpinpin : j’en mets à l’occasion dans la purée de carottes, dans  les brocolis, dans le yogourt, et le souper prend des allures de fête.
Ma  fille Clara, quatre ans, a beaucoup de mal à rester assise pour manger  (mais je n’abandonne pas pour autant et continue à lui apprendre à  rester à table, même si c’est très difficile pour elle…). Pendant les  repas, elle s’assoit toujours sur une fesse et martèle le plancher de sa  jambe libre (ça vous rappelle quelque chose ?) Les journées plus  difficiles pour elle ou pour moi, je saupoudre son assiette d’épices  magiques ; c’est fou comme elle avale plus vite son brocoli !
Vous  ne tenez pas à sucrer ainsi la nourriture de votre enfant ? Essayez  d’agrémenter le menu d’aliments qu’il aime : fromage râpé,  ketchup-maison, légumes gratinés, le tout servit dans de petits pots  amusants qu’on lui offre comme s’il s’agissait de friandises. En  présentant la réalité sous sa forme ludique et joyeuse, on a toutes les  chances de rendre cette réalité… ludique et joyeuse.
 
Coupable de déraper à l’occasion : la taloche occasionnelle
Maintenant  que vous venez de vous rappeler que vous n’êtes pas parfait – et que  personne ne vous en demande autant –, abordons le délicat sujet de la  correction physique.
Il  n’est certes pas souhaitable de donner une fessée à son enfant, et  aucun parent sain d’esprit n’éprouve du plaisir à le faire. En fait,  quand les circonstances imposent cette punition, on est souvent envahi  d’un profond sentiment de culpabilité. Normal.
Je  ne veux pas banaliser ici la violence physique ou mentale faite aux  enfants. Il me semble clair, toutefois, que l’expression de l’autorité  passe parfois par la correction. Je me souviens d’avoir moi-même reçu  quelques taloches de ma mère. Je les avais sûrement bien méritées, et  cela ne faisait pas de moi une enfant maltraitée. Qui plus est, je n’ai à  ce jour jamais consulté de psychanalyste pour régler des problèmes liés  à un traumatisme infantile !
En  2004, l’article 43 du Code criminel du Canada était jugé  constitutionnel par la Cour suprême du Canada. Cet article de loi  autorise les parents (ou tuteurs légaux) à recourir à la fessée contre  leur enfant avec une force raisonnable, sans utiliser d’objets comme une  lanière de cuir par exemple. Les Québécois ont réprouvé massivement  cette loi. Certes, encore une fois, il n’est jamais souhaitable de  recourir à la violence, mais, lorsque cela arrive, il faut réfléchir à  ce qui s’est passé et veiller à ce que cela ne se reproduise plus.
Si,  jour après jour, votre enfant déverse le contenu de son assiette sur le  plancher, vous allez lui expliquer avec toute la diplomatie dont vous  êtes capable que ce comportement ne vous convient pas. Si la diplomatie  n’aboutit à rien, même après plusieurs semaines, et que votre enfant  continue son cirque, on peut comprendre que vous lui donniez une petite  tape. Il n’en mourra pas, et vous non plus.
L’important  est de ne pas confondre dérapage et autorité. La correction physique ou  la violence verbale ne sont pas les seuls moyens d’exercer l’autorité  parentale. Ces comportements sont et doivent rester de l’ordre de  l’exception, mais, de grâce, finissons-en avec la culpabilité à la  moindre pichenette ! Et concentrons-nous aussi sur  l’« après-correction », sur ce qu’il faut retenir comme parent (et comme  enfant) d’une situation qui a tourné au vinaigre. Comprendre pourquoi  elle s’est ainsi envenimée nous permettra d’éviter de pareils dérapages à  l’avenir. Et expliquer à notre enfant pourquoi son attitude nous a  poussés à le discipliner physiquement, c’est aborder avec lui un  problème crucial dans le but de le dénouer définitivement.
Il  y a quelques années, j’ai vécu un des épisodes les plus sombres de ma  vie, épisode qui aurait pu me conduire à la dépression et aux dérapages.  Quand mon dernier enfant, Kristof, est arrivé, son aînée, Clara n’avait  que 19 mois. Je venais d’apprendre que mon mari, cet éternel adolescent  étourdi, n’était pas officiellement mon mari, puisqu’une formalité  administrative émanant du pays d’origine de sa première femme ne  reconnaissait pas son divorce. Il fallait que je m’occupe constamment de  mon entreprise, qui s’en allait à la dérive, et les membres de ma  famille me faisaient vivre le pire cauchemar de ma vie au moment où leur  support aurait été crucial.
J’ai  réalisé soudain que ma vie s’écroulait, qu’elle n’avait plus de  fondement, que je n’aurais plus jamais la belle famille du temps où mon  père vivait et que je perdais la santé à dormir trois heures par nuit.  Entre mes journées pleines, les factures qui s’accumulaient et les  procédures judiciaires que je devais mener, je ne trouvais plus  l’énergie qui me permettrait de m’occuper adéquatement des enfants. Les  devoirs, le bain, les histoires, les activités parascolaires, même les  moments de détente, c’était trop. J’ai alors décidé d’arrêter cette  course folle afin de faire mon bilan et mon plan de vie.
J’ai  régulièrement confié Kristof à des amis pour quelques heures. J’ai  donné à l’aide familiale qui vit chez nous plus de responsabilités quand  cela s’imposait. J’ai demandé à mes voisins de conduire les plus vieux à  leurs activités sportives. 
Bref,  je me suis permis de dévier de mes objectifs parentaux, ou plutôt de  « déraper » par rapport à mes idéaux de parentage : j’ai accepté l’idée  de ne pas être parfaite (ce qui ne revenait pas à mettre en péril la  sécurité de mes enfants, bien sûr) et de m’occuper de moi afin de mieux  m’occuper d’eux. Et j’ai surtout fait un deuil de mon idéalisation de la  famille parfaite, de ma mère qui serait toujours là pour moi et pour  mes enfants ; j’ai nommé des parrains de cœur pour mes enfants puisque  mes sœurs ne remplissaient plus ces fonctions morales. Je me suis refait  une famille à moi, avec ce que la vie me donnait à ce moment-là. Et  j’ai recommencé.
Je  suis allée au restaurant, j’ai rencontré des amis que je n’avais pas  vus depuis longtemps, question de me retrouver. Les consignes que je me  suis données : bien manger, dormir, faire du sport, question de me  donner l’énergie dont j’avais besoin.
Alors  que j’assurais mes fonctions de mère à mi-temps, malgré les remords  éprouvés, j’ai senti que ma force revenait de semaine en semaine. Ce  temps d’arrêt que j’ai pris pour moi m’a permis de survivre sans  dérapages pendant une période noire. Aujourd’hui, je suis fière de voir  mes enfants en santé, de me voir en forme et de savoir que c’est à moi,  et à moi seule, que je dois d’avoir traversé la montagne (bien que je  sois encore loin du sommet !) Quant à mon conjoint, il est toujours  l’éternel ado qu’il était, mais ça, c’est une autre question !
Culpabiliser,  c’est se comparer négativement à un modèle idéalisé. Quand on sait que  ce modèle n’existe pas, on peut en finir plus vite. Culpabiliser, c’est  aussi se soucier de la désapprobation de son entourage : «Qu’est-ce que  les autres vont penser de moi ? Comment me perçoivent-ils ?…» Le besoin  de plaire à tout le monde semble particulièrement absurde quand on sait  que, en règle générale, des gens que nous connaissons, un tiers nous  aime et un autre tiers ne nous aime pas. Quant au dernier tiers, il ne  cultive à notre égard que de l’indifférence.
Pourquoi  vouloir charmer tout un chacun ? Pourquoi chercher des admirateurs ?  Pourquoi nous coincer dans un rôle qui nous convient mal ? Afin de  correspondre à un modèle d’ailleurs illusoire ? Le jour où vous cesserez  de vous préoccuper de ce que pense votre voisine ou votre beau-frère,  vous aurez fait un grand pas vers la déculpabilisation. Et vers  l’efficacité.