« Bonne journée, Maman! Je t’aime! »
C’est devenu une tradition. Chaque matin où je marche jusqu’à l’école avec les garçons, Coco sort dans la cour d’école, il dépose son sac à dos sur le côté de l’immeuble, puis il s’installe à la clôture, celle qui donne sur le trottoir où je passe pour revenir à la maison.
Des fois, je suis encore de l’autre côté de l’immeuble, alors il reste là. Les mains autour des maillons de la clôture, il attend. Quand je surgis au coin de la rue, Coco s’enthousiasme : « Maman! » Il s’exclame comme s’il ne m’avait pas vue depuis des jours, alors qu’on s’est laissés il y a à peine trois minutes.
D’autres fois, j’arrive à la clôture avant lui. Des fois même, je suis déjà passée. Je suis en train de traverser l’intersection, avec d’un côté le brigadier, de l’autre un groupe d’enfants qui vont en sens inverse du mien, ou alors je suis loin, de l’autre côté de l’intersection. Ça n’arrête pas Coco : « Bye, Maman! Je t’aime! »
Il crie, en boucle. Jusqu’à ce qu’il ne me voie plus. Même si la rue est longue, et qu’il continue de me voir longtemps. Il continue de crier « Maman! » sans se fatiguer. Je lui réponds, évidemment. « Moi aussi je t’aime! Bonne journée mon grand! À ce soir! » Quand je suis rendue loin, trop loin pour crier, je lui envoie le bras. Je lui souffle des bisous. « Bonne journée, Maman! » Lui crie encore, la face bien étampée dans la clôture, parce que « trop loin pour crier », pour lui, ça n’existe pas. Il me souffle des bisous à son tour. Je vois ses ami.e.s le rejoindre à la clôture, le saluer, l’inviter dans leur jeu. Il est d’accord, mais pas tout de suite. Là, maintenant, il est occupé.
C’est toujours un peu émouvant de le voir aussi content de me regarder partir, aussi joyeux de cette occasion de me voir encore un peu avant de commencer sa journée à l’école. C’est toujours un peu cocasse, aussi. Je sais bien que nos adieux hyperboliques font sourire autour de nous, tant de son côté dans la cour d’école que du mien sur le trottoir. Mais je sais aussi qu’il ne m’aimera plus jamais autant que maintenant, jamais autant qu’à l’époque où il m’envoyait des bisous à la clôture.
Alors quand il m’appelle, je me retourne. Même si j’ai traversé l’intersection, même si je suis si loin que je ne distingue plus vraiment ses traits. Même si je suis rendue devant l’entrée de cour du troisième voisin de l’école qui me regarde, le sourcil levé, sans comprendre à qui je m’adresse et pourquoi je gesticule tant à 8h15 le matin.
Je lui crie que je l’aime. Je lui souffle des bisous. Juste au cas où ce serait la dernière fois.